Tant va la cruche à l'eau que tu finis par te mouiller les pieds (heureusement que tu étais en tongs)

Publié le par La coloquinte

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La plupart du temps, je me dis que je vais bien. Aucun réel problème sous le soleil - parce qu'en plus, ici, il fait beau. Un toit, de quoi l'entretenir, nourrir ceux qu'il abrite, et plus si nécessaire. Un travail, agréable. Des perspectives artistiques - même si un peu floues. Et la petite santé, oui madame. J'ai même repris le sport, mes fessiers en témoignent.

 

 

Ah non, vous n'allez pas remettre ça, avec le bonheur. Comme si vous y connaissiez quelque chose.

Est-ce que je suis heureuse?

Pas là, non.

 

Et j'en reviens à cette question que j'avais évacuée il y a quelques années de là : le bonheur, c'est pas obligatoire. On peut très bien vivre sans. Se laisser aller dans le courant qui nous entraîne tous vers la fosse commune, en battant un peu des pieds et des mains de temps à autre pour se faire croire qu'on vit comme on l'a choisi, et qu'il suffit d'aimer la vie.

 

Est-ce que j'aime la vie?

Non. Pas à ce moment précis.

Pas celle-ci, disons. Je ne l'aime pas plus que celle d'avant. Celle où, de guerre lasse, j'avais justement renoncé au bonheur.

Je m'étais dit, en quittant l'autre : Pas cette fois! Cette fois, le bonheur, tu le chercheras, et tu le trouveras. Et quand tu l'auras trouvé, tu feras tout pour le garder. Tu vivras en pleine conscience, et tu mourras sans regret - si tu meurs (parce qu'avec tout ça, bien sûr, j'avais aussi décidé de devenir immortelle).

J'ai dû louper un truc, va savoir, quand, comment, avec qui.

 

Ou mal tomber, qui sait : tout n'est peut-être pas de ma faute.

Non.

C'est la faute de ce machin qu'on croit indispensable à la vie, au bonheur ; ce truc mal défini ou mal fini tout court, mal réparti entre les êtres, mal branlé, parfois mal vu, qu'on appelle l'amour. Ou qu'on n'ose pas appeler parce que c'est une valeur encore plus risquée que les actions Natixis.

 

Suis-je encore amoureuse?

Ça m'étonnerait. Pas en ce moment. Pas d'une personne vivante de mon entourage, en tout cas.

Oui, parce qu'il m'arrive de me dire, dans mes pires moments, que l'homme dont je suis tombée amoureuse il y a quatre ans est mort. Qu'il a été emballé dans un sac plastique et rangé dans un congélateur grand format en attendant que la science le réveille. Puis remplacé par un étranger à qui on aurait donné toutes les informations sur notre relation mais qui, ne les ayant pas vécues, serait trop mal à l'aise en ma compagnie pour me la tenir longtemps et qui, en ma présence, jouerait juste à sauver les apparences. Sans les affinités que nous avions. Et du coup, sans amour, sans tendresse, sans confiance.

Voilà, c'est ça : on me l'a remplacé par un inconnu. Que j'ai envie de menacer pour qu'il me rende l'autre, le vrai, celui qui me faisait bondir le coeur d'un mot ou me faisait frissonner le ventre d'un regard. Celui avec qui nous riions, partagions. Celui que j'admirais sans efforts. Celui avec qui la vie était légère. Celui qui dort dans le congélateur en attendant que Michael Jackson le réveille.

 

J'essaie de me dire que tous ces vilains sentiments, c'est parce que :

- nous traversons une mauvaise passe (et que, par définition, ça va passer) ;

- il se cherche (et là, j'entends bien, le mieux serait d'attendre qu'il se soit trouvé avant d'entreprendre de grands travaux d'autodestruction de notre relation - si seulement je détenais cette force et cette patience dans la continuité) ;

- j'ai mes règles (celle-là, elle a fait de l'usage mais elle marche toujours, surtout quand j'ai mal au ventre comme ça)

- je souffre d'un complexe d'abandonnisme aigu et je ne peux supporter l'idée que l'être aimé s'éloigne pour se chercher alors que moi, hein, je sais très bien où il est grâce à mon énorme mémoire visuelle et mes facultés d'analyse psychologiques hors du commun (heureusement, j'ai psy lundi) ;

- je bosse comme une bête de somme depuis des mois tout en me couchant tard, buvant trop, me faisant trop de souci pour tout, et que j'ai juste besoin de repos. Genre, deux mois de cure de sommeil ;

- il est incapable de vivre en couple (rien de bien nouveau, mais ça devient plus difficile à solutionner, sauf si nous admettons une bonne fois pour toutes que nous ne sommes pas vraiment un couple, mais deux personnes qui vivent ensemble parce qu'elles sont plus heureuses ainsi et qu'en plus, hein, pfff, elles, euh, s'aiment. Notion floue et sujette à remaniements trimestriels) ;

- je suis incapable de vivre une situation conflictuelle sans remettre ma valeur intrinsèque en question. Or, j'ai lu Psychologie Magazine, et je sais que le regard que l'autre porte sur moi, quelle que soit sa teneur, n'altère pas ma valeur. Il suffirait donc que j'accepte, comme une donnée indépendante de mes faits et gestes et de ma présence sur terre, que l'être aimé (ou détesté, j'ai mes moments aussi, faut pas croire) puisse avoir ses humeurs, ses questionnements, ses angoisses, ses états dépressifs, ses règles (liste non exhaustive, surtout si l'être est une fille mais ça m'étonnerait) sans penser qu'il m'en veut personnellement et me tient responsable desdits états. Ou que, si c'est le cas, il fait fausse route, et moi aussi en restant en sa compagnie.

 

Tout à l'heure, quand la fatigue m'a prise et que, allongée à côté de lui pour une sieste même pas crapuleuse, j'ai eu besoin de tendresse, et qu'il n'en avait pas envie, et que j'ai pleuré (que ceux et celles qui n'ont jamais versé une larme sur l'incompréhension du monde entier à leur égard me jettent la première pierre, que je leur rebalance dans la gueule, à ces hypocrites), et qu'il est parti parce que le soleil brillait et que je le soûlais (ce que je puvais comprendre - au moins pour le soleil), j'ai été prise d'une colère atroce. Il fallait que je casse quelques chose. J'avais besoin de faire preuve de violence. Bon, évidemment, si l'être s'était livré pieds et poings liés à moi à ce moment précis, je l'aurais écartelé et roué de coups, c'est bien naturel. Sauf que, me connaissant, ç'aurait encore fini en jeux érotiques, version SM light. Avec sodomie, tout de même, qu'il apprenne qui est le maître. La maîtresse. Mais bref. Il était parti. Et il fallait que je casse.Un truc (l'amour?).

La solution de facilité, c'était l'assiette Ikea. J'en ai pris une. Et puis je l'ai reposée, me rappelant que pour les assiettes, on était un peu justes. En revanche, des verres, pléthore.

Oui mais.

Il y avait du pour et du contre.

Pour : ça vole en éclats, ça fait du bruit, ça rebondit avant de se fracasser en mille morceaux, ça te laisse une impression de force colossale : en balançant un verre par terre et en voyant le résultat, tu es le maître du monde, même le géant vert il ne t'arrive pas à la cheville (ou alors je confonds avec Hulk).

Contre : les petits morceaux. Super chiant à ramasser. Et après, les enfants ne mettent pas leurs chaussons, et s'ils se coupent, ça va être ma faute (ce fameux jour où (belle-)Maman a pété les plombs). Et puis ça ne dure pas assez longtemps, un verre qui se casse.

L'idéal, c'est un meuble.

Il y avait bien celui qu'on avait acheté, un peu branlant, à la peinture écaillée. Avec une hache, et quelques hahans de bûcherons, le pied.

Sauf qu'il était joli.

Et que je n'avais pas de hache.

 

Oui, bon, je sais.

Pour finir, je suis allée dans l'atelier, et j'ai pété un de mes tableaux. Un truc assez moche avec un oiseau-lyre qui arrache l'oeil de son petit agonisant. Non, en fait, je ne sais pas ce que ça dit, comme tableau.

Je me suis acharnée pendant dix minutes (ou trois, mais quand on tape, comme ça, le temps se dilate). Je me suis appliquée pour lâcher des bordées de jurons, pour vociférer, pour avoir l'air aussi complètement barje que le réquérait pareille situation.

Bilan :

- un cadre en mille morceaux (j'ai un peu balayé, quand même)

- une toile moche intacte

- l'impression d'avoir joué un rôle de façon asse peu convaincante

- un sentiment de redite - oui, juste après, je me suis rappelé que l'être avait aussi cassé une toile moche, à certain moment de sa vie.

 

Du coup, ça m'a fait du bien. Quand même.

Mais moins que d'écrire ça.

Quand j'ai commencé ce billet, j'étais grave (dans tous les sens du terme). Je tiens à me poser ces questions, et je tiens au réponses que j'y apporte, ou à leurs tentatives. Moi aussi, j'entre dans l'expérience, il n'y a pas que l'être et les frères Bogdanov.

Je suis plus légère. Il me reste dans le ventre ce petit regret d'une scène pour rien - ma tristesse larmoyante de tout à l'heure. La fatigue, le sang, la passe, et sans doute aussi le troisième verre de vin au repas de midi.

 

Je suis plus grande que ça. Plus grande que les verres dans lesquels je me noie en vain. Plus grande que mes manques de tendresse, que mes peurs d'abandon.

Plus grande que ces petits morceaux de bois qui ont moins bien su apaiser ma colère que ces lignes sur l'écran de mon ordinateur.

Merci, Bill Gates.

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