Comment voir la lumière coiffée d'une paire d'oeillères dans d'un tunnel au fond d'un puits

Publié le par la coloquinte

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J'ouvre l'oeil ce matin, le ciel est bleu sous le rideau blanc de la chambre, le soleil cligne au carreau du salon.

Je ne vois rien de tout ça : dans ma tête, il fait sombre, gris, brumeux. Météo spirituelle maussade tendance dépressive. Tant pis, on fera avec.

 

 


Je prends mon café au bord de mon PC, je ne suis pas habillée (pas vraiment dévêtue non plus, même si je dors nue) pour aller travailler mais je vais travailler quand même : je bosse à la maison, dans mon job c'est moi le patron, je suis maîtresse de mes horaires et de mes rythmes, et si tout continue d'aller aussi bien, je n'irai plus jamais pointer en entreprise,  j'aime ce que je fais et en plus, je le fais bien.

D'habitude, ça me fait sautiller les neurones et monter le taux de sérotonine. C'est assez discret, comme réaction, mais ça suffit pour faire de moi la femme la plus timidement heureuse du monde. Au moins dans mon quartier.

Ce matin, rien n'y fait, rien ne me va. Je grogne. Je peste, je râle, je gémis, je geins. Intérieurement : je n'ai même pas la force, pas l'envie qu'on m'entende me plaindre. Des fois qu'on me demanderait pourquoi. Ce qui ne va pas.

Je ne saurais pas répondre.

Une bonne vieille crise d'aquoibonnisme, voilà ce qui m'arrive. À quoi bon me lever, me laver, travailler, sourire? À quoi bon respirer?

Et je m'en tape que le soleil brille et que ça sente bon le seringa dans le jardin : aujourd'hui, je n'ai pas de soleil, pas de ciel, pas de jardin. Aujourd'hui, je suis un trou noir, un machin non-identifié que j'aimerais mieux, d'ailleurs, qu'on ne se donne pas la peine de nommer.

Laissez-moi mourir, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.

Je hurle tout cela à la face de l'univers, toujours intérieurement, bien sûr, parce que je n'aime pas déranger et que je n'ai aucune énergie, et puis je me fais un café et un jus d'orange. Mon incohérence m'enfonce dans la dépression la plus noire.

Dehors, ce salaud de soleil continue de me fanfaronner dans la figure. Je ne comprends pas comment il peut faire si beau alors que je suis dans cet état.

Je me mets au travail. C'est un travail agréable, stimulant. Plutôt pas mal payé (d'ailleurs j'ai au courrier le chèque rémunérant ma dernière mission, quand j'ai buté les deux serins de la voisine - je suis tueur à gage d'animaux domestiques). J'en ai les larmes qui me viennent aux yeux : le monde n'a-t-il vraiment aucune pitié?

J'ai de plus en plus envie de mourir.

À midi, le téléphone sonne, et je me dis que c'est vraiment le pompon : les gens sont sans pitié. Je vais laisser sonner, je ne vois pas quoi répondre à qui que ce soit, d'ailleurs je ne sais même pas si ma bouche sait encore articuler, mes cordes vocales se contracter pour produire un autre son que ce gémissement (toujours intérieur) qui me vrille le coeur depuis ce matin.

Mes yeux se posent accidentellement sur l'écran de mon portable, et mon cerveau reconnaît, complètement par réflexe, le numéro de Brad. Brad Pitt me harcèle depuis qu'on s'est croisés à un cocktail au festival de Cannes en 2009. Il veut m'épouser et m'envoie des Rolls Royce par paquets, j'ai des problèmes avec les services de voierie, à force. Brad Pitt , lui non plus, n'a aucune pitié.

Mes propres tentatives pour me remonter le moral m'indiquent que je n'ai pas complètement touché le fond. La qualité de ces tentatives, cependant, m'enfonce encore un peu plus dans la dépression.

J'ai décroché. Expliqué à l'une de mes amies que je ne pouvais pas la rejoindre sur la terrasse du café au bout de la rue pour prendre le dessert avec elle, parce que j'avais un boulot urgent à finir. Pour Brad Pitt.

Ça l'a fait rire. J'ai failli m'en tailler les veines avec mon ouvre-lettres.

Mais je n'ai pas d'ouvre-lettres. Essentiellement parce que je ne reçois jamais de lettres.

Les gens m'envoient des mails. Plein. Comme si j'étais en état d'y répondre. Internet n'a vraiment aucune pitié.

Il fait de plus en plus beau, j'en sanglote intérieurement de désespoir.

Mourir. Mourir serait vraiment la seule solution.

Je monte dans la salle de bain me préparer un verre de ciguë. Pendant que je fouille dans l'armoire à pharmacie à la recherche de la boîte de sédatif PC que je compte bien avaler toute entière, deux bras se referment sur moi et une voix me murmure à l'oreille : "Tu sais que tu as les plus beaux seins du monde?"

 

...J'adore ce soleil, ça me donne une de ces papates!

 

N.B. à l'inconnu de la salle de bain : merci pour ce soutien imprévu et bienvenu.Tu reviens quand tu veux.

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A
<br /> Si ce blog est fiction, bravo. S'il est réalité, double bravo. Partager de l'intime, tenir la barre d'un navire sur lequel des inconnus vont embarquer, ça demande un courage de timide, le seul qui<br /> vaille, non ?<br /> En cadeau, quelques granules de passiflore, presqu'aussi efficaces que le sédatif PC, c'est dire !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci pour les granules...<br /> <br /> <br /> Le courage des timides et des anonymes... Je retourne m'accrocher à la barre, il y a gros temps dehors.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> La lumière, donc, dépend d'une paire de seins. Si possible ceux de Brad Pitt.<br /> J'ai tout compris ?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> C'est exactement ça. Et des tas d'autres choses dont, malheureusement, j'ignore encore l'exacte composition. Et oui, bien sûr, de ma lumière intérieure. Je la cherche, au plus profond de moi...<br /> quelqu'un a une lampe torche?<br /> <br /> <br /> <br />